La crise de confiance déclenchée par la proposition de loi « Renseignement » se manifeste actuellement par une tendance à envisager la migration des serveurs situés en France vers des data-centers étrangers.
Deux services web ont d’ores et déjà annoncé leur déménagement : Altern.org, un hébergeur très symbolique car l’un des plus anciens de France, et Eu.org .
Étudions le cas suivant : Vous disposez actuellement d’un serveur (ou d’un compte mutualisé) chez un hébergeur français, situé dans un datacenter français.
Quels sont les éléments à examiner avant de décider d’une migration vers un datacenter à l’étranger ?
Tout n’est pas joué !
Il est sans doute un peu tôt pour décider sereinement, car la loi n’est pas votée. L’assemblée doit voter sur le texte définitif le 5 mai. Ensuite viendra l’examen au Sénat. D’ici là, la pression exercée par les différents acteurs (hébergeurs, associations, politiques, citoyens) peut influer le vote des parlementaires. Vous trouverez des infos utiles sur le site de la Quadrature, l’initiative Ni Pigeons ni Espions, une pétition sur Change.org. Vous pouvez suivre ces threads sur le hashtag Twitter #PJLRenseignement
Après le vote, une voie de recours existe, la saisine du Conseil Constitutionnel. Nul doute que l’indispensable Benjamin Bayart (@bayartb) portera la question au niveau juridique. On peut espérer trouver quelques politiques pour soutenir l’initiative.
On trouvera ici le point de vue plutôt optimiste d’Authueil et ici le point de vue plus pessimiste de @Pbeyssac. Il me semble utile de faire lire ce billet de @laurentchemla .
Est-ce une réelle évolution ?
Cette proposition de loi est en effet contraire à nos valeurs de respect de la vie privée, dans le sens où elle valide une surveillance de masse, qui n’est pas acceptable.
Cela dit, cette surveillance est sans doute déjà active depuis longtemps, mais tenue plus ou moins « discrète ». Sans vouloir verser dans le complotisme, on imagine bien que les services de renseignement n’en sont pas restés à l’écoute des Minitels durant les dernières années. Si les réseaux des hébergeurs étaient sans doute épargnés, le silence assourdissants des FAI durant ce débat est assez éloquent. Le site Reflets.info apporte quelques éléments au dossier. L’internet français est très centralisé, grâce au quasi monopole de très grands FAI, peu nombreux, fortement liés aux pouvoirs publics, de par leur historique, leurs liens de dépendance avec la commande publique, ou leurs besoins réglementaires…
Dès lors, n’est-il pas un peu vain de quitter les datacenters français de nos grands hébergeurs, si le trafic entre votre poste de travail et votre serveur est déjà fortement compromis ?
Est-ce vraiment mieux à l’étranger ?
Cette mauvaise loi aura eu le mérite de faire naître en France un vrai débat sur notre liberté de communiquer, et le cadre légal des pratiques de renseignement existantes où à venir. Migrer son serveur à l’étranger, c’est aussi porter son système d’information dans un pays qui n’est pas forcément plus respectueux de nos données, légalement ou « a-légalement »… Les grands hébergeurs français proposent des datacenters aux USA, au Luxembourg, au Canada, en Asie… Est-ce que là-bas, vous aurez réellement plus de garanties, dans un pays où vous n’avez aucune représentation ni même un simple droit de vote ? Il est déjà complexe d’être juridiquement compétent en France, multiplier la connaissance des juridictions semble une lourde tâche.
Comme nous l’a dit Edward Snowden : à nous d’agir
Lors de notre visite au salon WHD Global de 2015, nous avons eu le plaisir d’écouter une visioconférence d’ Edward Snowden, qui disait en substance que face aux attaques dont font l’objet les réseaux, la meilleure solution était que les acteurs techniques prennent une dimension politique.
La journée d’hier (16 avril) sur Twitter, montrait via les tweets des responsables de Gandi, OVH ou Ikoula, qu’il était temps que les hébergeurs soient impliqués en amont dans ce type de lois encadrant la vie numérique.
Les représentants politiques ne connaissant que la notion de rapport de force, il est urgent que notre filière se structure pour avoir une reconnaissance politique. Participer à des initiatives étatiques « cosmétiques » comme la pitoyable FrenchTech ne suffit pas. Le secteur numérique doit s’émanciper et se doter d’une voix audible.
Voilà, c’était notre petite contribution écrite à ce débat, totalement à l’opposée de nos propres intérêts économiques d’ailleurs, car si vous voulez migrer votre serveur, nous pouvons vous aider !